Silicon Valley : guérir de notre addiction au smartphone ?
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Le versant opaque de la technologie suscite une attention croissante et la résistance aux fausses nouvelles, aux bulles de filtres et à l'addiction au smartphone ne cesse de se renforcer. Sous la pression de l'opinion publique, les entreprises technologiques comme Facebook promettent d'améliorer leurs approches. Mais comment faire confiance à la Silicon Valley pour qu'elle résolve ces problèmes par elle-même ? Telle est la question que posent l'écrivain Ben Tarnoff et l'universitaire Moira Weigel.
« Dieu seul sait quel impact Facebook peut avoir sur les cerveaux de nos enfants », a déclaré Sean Parker à propos des effets d'addiction de Facebook. Premier président de Facebook, il a quitté l'entreprise en 2015. Chaque mention « j’aime » (ou like) donne à l’utilisateur une dose de dopamine qui l'incite à rester actif sur la plateforme, a indiqué Sean Parker lors d'une intervention à Philadelphie en fin d’année dernière. Et l’ancien dirigeant d’ajouter que ce facteur addictif a été sciemment incorporé dans Facebook. « L’idée sur laquelle repose Facebook était la suivante : comment capter le plus possible le temps et l’attention des utilisateurs ? ». L’ex-président de Facebook a indiqué en outre que le succès de la plateforme tenait à « l’exploitation d'une vulnérabilité de la psychologie humaine ».
Technologie respectueuse des utilisateurs
Sean Parker n’est pas le seul expert de la Silicon Valley à critiquer les aspects addictifs des produits issus de la technologie numérique. Tristan Harris a été concepteur d’interfaces utilisateur et a assisté de près au processus de création d'applications et de sites Web conçus pour capter l'attention. Il a été témoin, par exemple, des méthodes consistant à appliquer aux produits numériques les caractéristiques addictives des machines de jeu. C’est en 2013, alors qu'il occupait le poste d’« éthicien » (ou « philosophe produit ») chez Google, qu’il a créé l’association Time Well Spent. Au travers de cette structure, Tristan Harris plaide pour des produits numériques plus conviviaux et respectueux du temps et de l’attention des utilisateurs.
Sa cause a suscité considération et soutien du monde de la technologie par des apports financiers et des effectifs, ce qui lui a permis de lancer une nouvelle structure, le Center for Humane Technology. Cette initiative est appuyée, notamment, par Justin Rosenstein, co-inventeur du bouton j’aime, Evan Sharp, co-fondateur de Pinterest et Tim Wu, leader d'opinion, aux points de vue critiques sur la technologie.
L'angle mort des problèmes fondamentaux
Pour autant, ce n'est pas en « bricolant » les interfaces des produits numériques que les problèmes fondamentaux de la technologie de l'internet seront résolus, avancent Ben Tarnoff et Moira Weigel dans un article du Guardian. Ils considèrent Tristan Harris et leurs collègues comme des humanistes de la technologie, opposés aux décisions de conception des firmes de la Silicon Valley conduisant à des manipulations. Selon Ben Tarnoff et Moira Weigel, « ces décisions sont symptomatiques d'un problème plus large : l'infrastructure numérique façonne de plus en plus nos vies personnelles, sociales et citoyennes, et elles sont entre les mains et sous le contrôle d'une poignée de milliardaires. Parce qu'il met de côté la question du pouvoir, le diagnostic des humanistes de la technologie n’est pas à la hauteur ».
Les auteurs de l’article avancent même que leur action pourrait être détournée par l'industrie de la technologie. En effet, la résistance vis-à-vis des aspects opaques des produits impose aux entreprises concernées d'effectuer des changements pour éviter un exode des utilisateurs. En prenant le contrôle de la démarche des humanistes de la technologie, elles peuvent neutraliser la résistance sans introduire de réforme fondamentale. Mark Zuckerberg semble déjà s'inscrire dans cette stratégie, selon Ben Tarnoff et Moira Weigel.
Démocratiser la technologie
En début d'année, le PDG de Facebook a annoncé que la plate-forme allait donner davantage d'importance à la qualité qu’à la quantité. Le réseau social ne cherchera plus à retenir le plus longtemps possible ses adeptes, mais mettra plutôt au premier plan l'intérêt de l’expérience. Les utilisateurs seraient moins la cible des messages des médias et de la publicité, au profit d'une augmentation des interactions avec leurs amis. À cette occasion, le PDG de Facebook a utilisé littéralement l’expression « time well spent » (du nom du label créé par Tristan Harris) en s'appropriant au passage le jargon des humanistes de la technologie. Mais, selon Ben Tarnoff et Moira Weigel, les interactions entre les utilisateurs et leurs amis produisent des données plus intéressantes pour Facebook que leurs réactions face aux messages issus des médias. Si Mark Zuckerberg laisse l'impression d'apaiser ses utilisateurs, il donne avant tout la priorité à ses propres intérêts.
« Plutôt que d'essayer plus ou moins d'humaniser la technologie », écrivent les auteurs, « nous devrions surtout la démocratiser. Notre objectif devrait être essentiellement d’exiger que la société, dans son ensemble, décide de sa manière de vivre avec la technologie plutôt que de laisser cela à un petit groupe de personnes qui ont pris possession de la richesse collective ».
Photo : Mark Zuckerberg - Conférence F8 2018. Photographe : Anthony Quintano. Licence CC BY 2.0.
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