S'il était traduit en français, le titre du livre The State of Hollow State Audio in the Second Decade of the 21th Century  pourrairt être : État de l'audio sous vide dans la deuxième décennie du 21e siècle.
Ce titre est frappant par sa longueur et par l’appellation "Hollow State", l’une et l’autre inhabituelles. L’illustration de la couverture du livre permet d'identifier le sujet du premier coup d'œil : on y voit quatre grands tubes à vide (valves en anglais de Grande-Bretagne), dont l'un est mis en valeur pour révéler son enveloppe de verre brillant, sa structure interne et, surtout, les filaments incandescents. La lueur chaude est visible aussi sur les autres tubes.
 
Quand j'ai montré ce livre à diverses personnes, leurs réactions montrent que le titre et l'illustration font beaucoup d’effet. Les uns demandent ce qu’est ce hollow state, cet état creux, en français cela pourrait donner « C’est quoi l’audio sous vide ? » ; ce sont généralement des personnes peu familières des tubes. Les autres, qui sont plutôt des aficionados du tube, posent des questions du genre "c’est un 807 là devant ? Et un 6AQ5 là derrière ?". Voyons si ces deux catégories de lecteurs trouvent leur compte dans ce livre.
 
J'ai été surpris que l'auteur n’ait pas jugé utile d’élucider l’astuce de son titre. Peut-être le terme de hollow state est-il un jeu de mots plus courant aux États-Unis qu'en Europe. Si vous avez l’âge de vous souvenir de l’expression (all) solid state (équivalent français : entièrement transistorisé) arborée dans les années 60 par les premiers postes de radio dits portatifs, les radios-réveils ou votre premier magnétophone, alors vous comprendrez que le vocable hollow state est une référence au vide gazeux des fameux tubes à vide ou valves thermo-ioniques ! Bref, c’est un clin d’œil : l’expression "solid state" (c’est-à-dire à l’état solide en français) est utilisée aux États-Unis pour désigner l’électronique à transistors (c'est-à-dire à l’état solide) qui, à partir de 1955 environ, a supplanté l’électronique à l’état gazeux des tubes à vide.

Il était une fois

Dans les chapitres 1 et 3, Richard Honeycutt présente un bref historique du tube à vide et de son utilisation dans des radios et des amplificateurs commerciaux désormais légendaires. Il mentionne quelques contributions européennes au chapitre 1, mais le chapitre 2 parle surtout de produits d'Amérique du Nord, où le tube à vide a prospéré beaucoup plus tôt qu'en Europe, en raison de l'arrivée de la radio et de la télévision dans les foyers américains beaucoup plus tôt que de ce côté-ci de l'océan. Il est beaucoup question de fabricants états-uniens de radios, de tubes, de composants et d’appareils audio, avec une évocation de leur histoire, leurs échecs, leurs succès, leurs rachats, etc. : RCA, par exemple, mais aussi des demi-dieux comme Altec (dont le nom vient de "technologie alternative"). Le chapitre qui explique les bases mêmes des tubes le fait admirablement notamment pour les nouveaux venus. Tout au long du livre, la langue de l’auteur et les termes techniques sont factuels et précis, mais il ne manque aucune occasion d'alléger ses explications. On pourrait cependant objecter que le style d'un chapitre, qui entend vous faire passer de l'amplificateur à triode de base au push-pull en seulement 24 pages, devrait être plus proche du manuel scolaire que de l'anecdote personnelle.

Le réchauffement

L’approfondissement de la théorie des tubes à vide intervient dans les chapitres 4 et 5, avec la conception des préamplis et l'art de la lecture des courbes. Aucune sécheresse dans le chapitre sur la conception des préamplis, il culmine par une véritable étude de circuit à tubes 12EL6 "space-charged" (fichtre !) pilotés par... un ampli op. Cette approche hybride témoigne de l’éclectisme de l'auteur pour qui les tubes ne sont ni sacrés ni compliqués à interfacer avec des semi-conducteurs. Ce chapitre, l'un des meilleurs du livre à mon goût, traite de l'amplificateur affamé (en anglais : starved amplifier), également connu sous le nom d'ECC8* (12A*/6/7 aux États-Unis), qui fonctionne avec des tensions de plaque de l’ordre de 12 V, une valeur si faible que même des électroniciens de la génération qui n’a jamais utilisé que des transistors, y voient une invitation à expérimenter avec ces "FET luminescents", maintenant disponibles en Chine et en Ukraine. Excellente aussi est la lecture de l'histoire de l'amplificateur affamé, issue essentiellement d'une publication populaire. Honeycutt marie admirablement théorie et incitation à se lancer dans la soudure et l’expérimentation.
 
Le chapitre 5 est desservi par la médiocre qualité de reproduction des courbes des tubes, ces fameuses courbes que tout concepteur devrait savoir lire avant de mettre sous tension quelque circuit que ce soit. Il n'est pas nécessaire, heureusement, de pouvoir lire jusqu’au dernier chiffre de ces graphiques antiques ; l'intention de Honeycutt et des méthodes qu’il décrit est assez claire pour les besoins de sa discussion.

"TS" et "OT : les sujets qui fâchent

Le chapitre 6 traite brièvement du "son du tube" en s’abstenant – heureusement pour moi – de rhétorique et de subjectivisme, sans aucun de ces propos présomptueux si fréquents sur les forums pour aficionados de l'audio. Honeycutt se contente de discuter des paramètres qui entrent dans la perception du son aux antipodes des verdicts fallacieux sur ce que serait "le meilleur son" d'un amplificateur. Le livre évite à raison le clivage habituel entre amateurs et détracteurs des tubes en général, et plus précisément entre prosélytes et détracteurs des tubes X ou Y.
 
Après "les hautes tensions", le transformateur de sortie est ce que les amplificateurs à tubes ont de plus redouté ; il est évoqué assez rapidement dans le chapitre 9, qui ne mentionne le transfo torique qu'à la fin en omettant le meilleur OT de tous les temps : aucun (comme dans le célèbre OTL de 800 Ω de Philips Pays-Bas) !

Autour des tubes

D'autres chapitres du livre couvrent non seulement les sujets habituels associés aux tubes à vide comme les amplificateurs de guitare (les effets en particulier : distorsion, fuzz, etc.), la sélection des tubes, les testeurs de tubes, les alimentations (et la lutte contre les ronflements) et le dépannage, mais aussi des sujets plus pointus comme les microphones à tubes et le traitement de la dynamique avec des tubes. L’analyse des pannes et la réparation des amplis à tubes sont très bien présentées, riches en conseils valables et témoignent de la solidité du savoir-faire de Honeycutt.

Conclusion

Le livre respecte les règles typographiques des équations. L’emploi précis et rigoureux des italiques, exposants et indices dans les termes techniques renforce l’autorité rayonnée par cet ouvrage. La qualité d'impression de certaines illustrations laisse à désirer, en particulier des copies d’écran d’oscilloscope, certains dessins et graphiques, dont le rapport signal/bruit aurait pu être amélioré sensiblement si elles étaient passées entre les mains d’un illustrateur professionnel du studio graphique d'Elektor. Les schémas d'amplificateurs d'époque ont leur charme, quand bien même ils n’ont visiblement pas été dessinés à l’époque pour être reproduits.
 
Ce livre est bien organisé et se lit facilement. Les aspects historiques des tubes restent à l’arrière-plan, le passé n’y est jamais romancé et encore moins mythifié. L’auteur maintient au contraire une vision prospective et stimulante et, parvient à inciter le lecteur à allumer son fer à souder et à commencer à expérimenter avec l’électronique audio sous vide. Essayez !
Une lecture chaudement recommandée.

 
The State of Hollow State Audio - in the Second Decade of the 21st Century (livre en anglais)
Richard Honeycutt
382 pages – broché
Elektor International Media
ISBN: 978-1-907920-79-0
34,95 € | 31,46 € pour les membres
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